Les maîtres de la profession

Ramphuu était assis sur l'auvent d'un marchand et mangeait tranquillement une pomme bien rouge en regardant défiler les passants en contrebas. Le soleil était haut et tapait fort et donc par conséquent, tout le monde recherchait les coins d'ombre pour s'arrêter. Malgré la situation de canicule, le marché était toujours le bon endroit pour trouver quelque chose à voler car les gens s'y atroupaient et avait les pièces en poches pour acheter la marchandise. Cependant, depuis le début de la journée, l'essentiel de l'activité du lycanthrope avait été de décoiffer les gens chapeautés au moyens de gravillons récoltés dans les lézardes du mur de l'immeuble auquel il était adossé. Un jeu puéril et sans intérêt réel mais qui faisait passer son temps innocupé.

* Pff je m'ennuie ferme. Qu'est-ce que les journées sont longues quand on les passe seul ! Bon je vais me dégourdir un peu les jambes *

Ramphuu se redressa sur la toile déolorée puis, d'un bon agile et puissant, se propulsa au beau milieu de la foule. Atterrissant sur ses deux jambes pliées, il se mit en quête d'une proie. Un son de pièces d'or sonnantes et trébuchantes parvint aux oreilles attentives de Ramphuu. La poche gonflée d'or était celle d'une sorte de maigrichon à lunettes. Parfait. Se redressant, Ramphuu s'avança et bouscula l'homme un peu trop brutalement en poussant un cri de protestation factice. Sa main glissa vers la poche de l'inconnu et en ressortit une bourse étonnament rebondie.

* C'est le pactole ! *

Ramphuu, son butin dans la main s'éloigna d'un pas vif et habile, slalomant entre les badauds, en direction de l'étal qu'il préférait. La vieille marchande de fruits à la peau basanée et aux longues tresses sombres se dressait derrière les montagnes de bananes et de pommes, les monceaux de citrons et les tas de noix de pécan. Ramphuu était un véritable dévoreur de fruits. Il aurait pu les voler tous mais il avait pour la vieille noire un respect sans borne. C'est pourquoi il n'avait jamais rien volé à celle-ci.

- Qu'est-ce que tu prends aujourd'hui petit voyou ? s'écria-t-elle d'une voix dure contredit par l'éclat de plaisir qui dansait au fond de ces yeux sans âge. Un ananas ou des cerises ?
- Des fraises la vieille ! lança-t-il gaiement.
- Ne me parles pas comme ça malotru ou il t'en coûtera ! hurla-t-elle en riant. Tiens les voilà tes fraises bandits. Ca fera deux pièces de bronze.

Ramphuu plongea sa main au fond de sa poche pour sortir sa propre bourse... Qui n'était plus là. Le jeune homme fit un bond en arrière et scruta la foule d'un regard autant suspicieux que stupéfait. Personne, strictement personne ne pouvait le voler sans qu'il ne s'en rende compte. Et voilà que sa bourse s'était volatilisée sans même qu'il ne le soupçonne.

- Bon tu me les donne tes pièces ou quoi ? s'impatienta la marchande.

Ramphuu paya immédiatement la marchande avec des pièces sorties de la bourse qu'il venait de voler et partit en quête du génie qui avait pu le détrousser si habilement. Et le seul moment où cet exploit avait été possible était lorsqu'il était entièrement concentré sur son propre larçin. Le maigrichon à lunette n'était peut-être pas si nul que ça...

Perché sur la fenêtre d'un immeuble, un chat sombre comme un morceau de charbon scrutait la foule de ses deux pupilles dorées. Un regard de prédateur. Enfin ses yeux se fixèrent sur leur objectif. L'homme à lunette tenait une bourse remplie dans sa main et semblait désemparé, comme cherchant une solution à un mystère inexplicable. D'un incroyable bond, le félin se propulsa jusqu'au bâtiment d'enface, redondit sur une mince corniche vers la toile d'un étalage, s'en servi de tremplin et atterit à cinq mètres de l'homme, sous une large table où étaient exposés armes en tout genre. L'animal se déplaça alors avec une rapidité peu commune. En deux gigantesques bonds, il traversa la foule des passants, crocheta le cordon épais de la bourse et retomba deux mètres plus loin et disparut. A sa place se tenait un jeune homme brun au sourire carnassier, une bourse remplie serrée dans son poing.

- Dommage, dommage... Mais essaye toujours de me rattraper, déclara celui-ci sur un ton goguenard.

Et il s'enfuit d'un pas agile et fluide, sans même que les passants ne se rendent compte de sa présence.

Ramphuu avait peut-être sous estimé les capacités de son antagoniste. Il se déplaçait au travers de la foule avec une aisance des plus stupéfiantes et courait à une vitesse que sa faible corpulence ne laissait absolument pas présagé. La distance qui les séparait, sans diminuer, ne faisait pas mine d'augmenter. Cette course pouvait encore durer et ce serait à l'endurance que tout se jouerait.

* Va falloir que je sois plus malin que lui... *

D'un gigantesque bond, Ramphuu se propulsa sur un mur et commença à l'escalader. Il s'engouffra vivement dans une fenêtre éventrée. Le chat noir comme la nuit s'enfuit alors de la cachette et détala entre les jambes des passants.

*Merde le chat !*

Sifflant comme il y a peu de temps et désignant la direction du chat, il avança toujours, jusqu'au niveau du mur qu'il escalada comme son prédécesseur.

S'engouffrant dans la même fenêtre que le voleur, Shekil découvrit que cette salle était close. Aucune autre sortie que la fenêtre il avait l'avantage. Enfin espérons que la porte au fond était fermée...

"Mon argent..." demanda-t-il sans interlocuteur précis.

Le gros chat noir, debout sur une poutrelle noircie par les ans, observait attentivement le bonhomme. Il avait tout du type prétentieux à en vomir mais qui a malgré tout des raisons de l'être. Il avait visiblement tout de suite compris que ce chat n'était qu'un chat ordinaire. Il allait falloir jouer serré. Redevenant humain, Ramphuu se laissa glisser de son perchoir, se rattrapa d'une seule main pour finalement atterir devant l'homme dans un rétablissement acrobatique.

- Eh bien eh bien. Je suis impressionné de la rapidité avec laquelle tu as déjoué mon petit piège. Cependant tu n'as pas de chance, ton argent je l'ai déjà dépensé. Mais pour te dédomager je suis près à te proposer un défi. Je mets dans ce pari la somme que je te dois. Si je gagne, tu devras admettre que je suis meilleur que toi. Si je perds, je te rends ton argent et le contenu de cette bourse.

Sortant sa propre bourse, Ramphuu compta les pièces qui s'y accumulait.

- 19 pièces d'or et 43 pièces d'argent. Alors tu marches que je t'explique ?

*Lycanthrope...*

"Et pourquoi je ne t'attaquerai pas, afin de récupérer tout tes biens ?" dit-il en dégainant son bâton de son dos. S'appuyant sur celui-ci, il se pencha en avant, observant un peu plus les pièces.

Les comptant lui aussi, il arriva à un compte différent.

"19 pièces d'or et 44 pièces d'argent. Tu comptes mal jeunot, ou alors tu as la pire mémoire que j'aie jamais vu..." dit-il en sortant la dernière de sa poche.

"Expliques, je pourrais toujours te faire la peau plus tard..."

* Prétentieux jusqu'au bout des ongles je l'avais bien dit. *

- Eh bien on va voler les impôts du mois. Ils ont été relevés ce matin et sont donc stockés dans la salle au trésor du château. Je sais pas si tu connais la cité mais bon le seigneur est plutôt du genre parano et la salle est quasi impénétrable. Le bon côté des choses c'est que son petit côté tyranique fait monter l'addition à presque 1000 pièces d'or. Celui qui en ramène le plus avant l'aube demain matin gagne le pari. On commence au coucher du soleil. Alors toujours partant ?

Passons tout les détails fastidieux de leurs préparation...

Nos deux compères, chacun dans son coin, et de son coté, étaient désormais rodés et parés a l'assaut de la salle du trésor. Encore fallait-il entrer dans le chateau...
Le nombre impressionant de gardes, de soldat armés, de membres de la cour royale, augmentez toujours un peu plus le danger de cette opération.
De plus, ce que nos deux compères ne savaient pas, et ne savent toujours pas, le seigneur du coin offre un grand bal en l'honneur d'une, on ne sait laquelle, fête religieuse. Une multitude d'invités, de grands seigneurs sont a attendre... La sécurité sera renforcé de plus, et en conséquence...

Plus qu'une bonne heure avant le coucher de soleil, et déjà un bon moment que Shekil et Ramphuu s'étaient vus pour la dernière fois.

...